Une vie d’amour, de résilience et de gratitude

Au début du mois de juillet, j’ai reçu un courriel m’invitant à écrire sur les expériences de vie d’une personne âgée de la région. J’ai accepté avec enthousiasme et, quelques semaines plus tard, j’ai appris que j’allais rencontrer Elizabeth Vatcher, une résidente de St. Brigid’s Home âgée de 99 ans.

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, seulement qu’Elizabeth avait vécu près d’un siècle et que j’allais aider à partager son histoire. Au cours de trois visites en août, j’ai appris à connaître une femme façonnée par l’amour, le sacrifice, la résilience et la gratitude.

Elizabeth m’a accueillie chaleureusement. Elle m’a dit qu’elle portait le nom de sa grand-mère et que son deuxième prénom, Mary, lui avait été transmis par sa mère. Elle est née en 1926 dans la ville papetière de Kenogami (qui fait aujourd’hui partie du Saguenay), deuxième d’une famille de huit enfants.

Les rues où elle a grandi, Cabot et Price, étaient à l’époque des routes de gravier. Elle se souvient d’avoir joué aux billes dans la terre avec ses amis. Comme sa famille ne possédait pas de voiture, elle marchait partout. Le quartier était majoritairement d’expression anglaise, et elle a fréquenté l’église « Saint Andrew’s United Church » et l’école protestante anglaise locale.

« J’ai dû quitter l’école à l’âge de dix ans », m’a-t-elle dit. « Je n’ai jamais terminé la cinquième année. J’ai dû rester à la maison et aider ma mère à s’occuper de mes jeunes frères et sœurs. Je devais m’assurer qu’ils avaient des vêtements propres et qu’on leur lavait les pieds tous les soirs. »

Il n’y avait ni baignoire ni douche dans la maison de l’enfance d’Elizabeth. La famille utilisait un bassin en métal galvanisé pour le bain, juste assez grand pour que les plus jeunes enfants puissent s’y asseoir, un par un, les jambes croisées. Pour les plus grands, il fallait procéder en deux temps. « On s’y asseyait avec les jambes pendantes, on lavait d’abord le haut, puis on s’asseyait sur une petite chaise en bois pour laver le reste. »

Plus tard, elle est tombée amoureuse de Wilfrid, un catholique francophone qui vivait à proximité et fréquentait l’école catholique française locale. Elizabeth était protestante, cependant, et dans le Québec des années 1940, cette différence avait son importance.

« J’avais l’habitude de jouer avec ses sœurs », se souvient-elle. « Lorsque nous n’étions que des enfants qui s’amusaient, la religion n’était pas un problème. Mais quand lui et moi avons voulu nous marier, elle l’est devenue. C’était comme ça à l’époque ».

Elizabeth choisit de se convertir au catholicisme pour pouvoir épouser Wilfrid. « J’ai dû lire Le catéchisme et tout apprendre par moi-même », dit-elle. « Je me rendais au bureau du prêtre au presbytère. Il m’interrogeait sur mes lectures et je répondais. Cela a pris plusieurs mois. »

Ses parents ont respecté sa décision. « Ils ont compris que j’étais amoureuse », dit-elle. « Wilfrid était un gentleman. Il était propre, respectueux, ne fumait pas, ne buvait pas et aidait toujours les gens ».

Ils se sont mariés le 10 novembre 1945 au Couvent Sainte-Famille de Kenogami. Peu après, ils déménagent à Montréal, où Wilfrid travaille comme soudeur sur des navires de guerre. Ils louent un petit appartement dans l’Est de la ville. « Il n’y avait ni réfrigérateur ni glacière », se souvient-elle. « Tous les habitants de Kenogami me manquaient. J’avais le mal du pays. »

Ils retournent à Kenogami environ deux ans plus tard. Wilfrid reprend son emploi à Alcan, où il avait déjà travaillé, et y reste jusqu’à sa retraite. Leurs sept enfants sont nés et ont grandi à Kenogami-Jonquière. Elizabeth se souvient qu’après avoir eu cinq filles, « toute la ville priait pour que j’aie un garçon ». Elle a finalement eu deux fils. « Les gens venaient me voir dans la rue pour me féliciter. »

Elle parle avec tendresse des plaisirs simples de la vie d’alors : le ski de fond avec d’autres jeunes mères une fois les enfants endormis, les glissades au centre de ski local, les achats chez Gagnon Frères. La famille a fini par déménager à Arvida (qui fait maintenant partie de Saguenay) et s’est installée dans une maison à un étage que Wilfrid a aidé à construire.

« Pendant vingt ans, nous n’avons jamais manqué un seul paiement sur la maison », m’a-t-elle dit en souriant. Elle décrit le jour où le dernier avis de paiement est arrivé par la poste : « Lorsque nous avons enfin remboursé la maison, tous les membres de la famille ont dansé dans la cuisine et ont fêté l’événement. Ce fut l’un des plus beaux jours de ma vie. »

Lors de ma deuxième visite, j’ai montré à Elizabeth de vieilles vidéos de Kenogami dans les années 1960 que j’avais trouvées en ligne. Une scène l’a interpellée : Elle s’est exclamée en regardant une femme passer devant la vitrine d’un grand magasin : « On dirait ma mère en train de marcher ! » Elle a parlé des églises, des magasins du coin, du Collège du Sacré-Cœur et du centre de ski. Elle se souvenait de tout.

Lors de ma troisième visite, je lui ai apporté un livre que j’avais réussi à trouver : The History of the English Community at Kenogami, Quebec : With an Emphasis on the Period 1912-1952 (L’histoire de la communauté anglaise de Kénogami, Québec, avec un accent sur la période 1912-1952). En feuilletant les pages, sa voix s’est illuminée de familiarité : « Il habitait en face de chez nous… J’allais à l’école avec elle… C’était mon institutrice de première année, Mlle Black. » Nous avons trouvé une photo de son frère aîné, Tommy, prise le jour de son mariage en 1945, et une autre de son cousin John, sur une photo de classe de 1946. Sur la liste des pierres tombales du cimetière protestant de Kenogami, nous avons trouvé les noms de ses parents, James Vatcher et Mary Mansbridge, décédés en 1957 et 1979.

Lorsque j’ai demandé à Elizabeth quelles étaient les personnes qui avaient eu le plus d’impact sur sa vie, elle a répondu : « mes enfants ».

« Ils sont tous allés à l’école anglaise, mais ils parlaient aussi le français », dit-elle. « Je voulais qu’ils fassent quelque chose et qu’ils deviennent quelque chose. » Elle sourit en parlant de sa fille Hélène, qui a travaillé pour Alcan et s’est jointe à la chorale de l’entreprise. « Elle en était très fière. »

Lorsque j’ai demandé à Elizabeth de quoi elle était le plus fière, elle m’a répondu : « D’avoir élevé une famille et d’avoir fait tourner la maison, la plupart du temps toute seule. Mon mari travaillait beaucoup. »

Elle a vécu assez longtemps pour voir sa famille s’agrandir sur cinq générations : 17 petits-enfants, 23 arrière-petits-enfants et même 2 arrière-arrière-petits-enfants.

Mais elle a aussi connu des pertes déchirantes. En l’espace de trois ans, elle a perdu deux filles et un fils. Son mari, Wilfrid, est décédé en 1965. De ses sept frères et sœurs, il n’en reste que deux : Allan, aujourd’hui âgé de 82 ans, et Hilda, 89 ans. Elle m’a montré une photo de sa sœur Beatrice, aujourd’hui décédée. « Elle était si proche de notre famille et si gentille avec mes filles lorsqu’elles grandissaient. »

Je lui ai demandé comment elle avait supporté un tel chagrin. Elle m’a expliqué qu’il y avait trois jours de deuil au funérarium, où se réunissaient les amis et la famille. « Ensuite, vous rentrez chez vous. Il faut vivre avec son chagrin. »

Pourtant, elle reste reconnaissante. « Lorsque vous avez connu tant de mauvais jours et d’épreuves, vous appréciez davantage les bons moments », a-t-elle déclaré.

Aujourd’hui encore, elle trouve de la joie dans les plus petits gestes de la vie : un plat de cerises que sa fille Anne lui a apporté récemment, ou la carte d’anniversaire de sa fille Jane qui arrive chaque année à temps. « Peu importe le jour de la semaine, elle me la fait toujours parvenir à temps. »

Elle m’a dit qu’elle était heureuse lorsque ses enfants évoquaient des souvenirs d’antan. Ils lui demandent : « Tu te souviens, maman… ? » Et c’est le cas. « Ce sont les meilleurs moments », dit-elle.

En terminant notre dernière visite, j’ai demandé à Elizabeth ce dont elle était reconnaissante aujourd’hui.

« Que je sois toujours en vie », a-t-elle dit.

Après une pause, elle a ajouté : « Je sais que je ne suis pas la meilleure dans ce domaine, mais j’essaie de me souvenir de tout ce que je peux. »

Puis elle a demandé : « Pensez-vous que mon histoire vaut la peine d’être racontée ? »

« Bien sûr que oui », ai-je répondu. « Vous avez vécu près d’un siècle de changements – tant de vie, tant d’histoire. Cela mérite d’être partagé. »

« Merci d’avoir pensé à moi », dit-elle.

 

Note de l’autrice

Ce fut un honneur de passer du temps avec Elizabeth et d’entendre son histoire de première main. Au cours de ces quelques visites, j’ai été frappée par sa force, son humilité et sa capacité à trouver de la joie dans les moments les plus simples de la vie. Je suis reconnaissante d’avoir eu l’occasion de contribuer à faire entendre sa voix. Son histoire nous rappelle que le sens de notre vie se trouve dans les liens que nous entretenons avec les autres et que, même dans la douleur et la perte, la gratitude peut perdurer.

Elizabeth est décédée à Saint Brigid’s Home le 2 septembre 2025.

 

Bibliographie

Google. (n.d.). [Vue de la rue du 3714 rue Cabot, Jonquière, QC]. Consulté le 11 août 2025

Radio Canada Info. (2015, 25 février). ICI NOTRE HISTOIRE : Kénogami il y a un demi-siècle [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=7gd5ha3RdcI

McIntosh, D. et McIntosh, C. (2004). L’histoire de la communauté anglaise de Kénogami, Québec : Avec l’accent sur la période 1912-1952. Epic Press.


Article rédigé par Elyssa MacKinnon (bénévole)

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